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L'Originalité en Droit d'Auteur : le critère de protection

Est-ce que j’ai des droits d’auteur ? Ou l’originalité au pays des juristes

Par Pierre Massot
Publié le 09/12/21

En France, le droit d’auteur protège toutes les œuvres de l’esprit, quel que soit leur genre ou leur mérite. Bien que le législateur ne l’ait pas expressément écrit dans le Code de la propriété intellectuelle, les juges français ont ajouté qu’une œuvre de l’esprit n’est néanmoins protégeable qu’à la condition qu’elle soit originale. Le droit européen est venu confirmer récemment qu’au sein de l’UE, une œuvre est protégeable par le droit d’auteur à la condition d’être originale. Que faut-il entendre toutefois par originalité ? Et, surtout, comment l’originalité est-elle appréciée par les tribunaux ?

Le droit d’auteur en France : vers une appréciation plus stricte de l’originalité

En France, les tribunaux affirment régulièrement qu’une œuvre est originale si elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur.

Quèsaco ?! La formule rituelle utilisée par les juges français se comprend assez bien pour les œuvres d’art pur. On la comprend moins déjà si on essaye de l’appliquer dans le domaine des arts appliqués ou graphiques. Comment en effet percevoir la personnalité d’un auteur dans le design d’une voiture, d’une cafetière, d’un logo ou d’une typographie ?

Pendant de nombreuses années, cela n’a pas posé véritablement de problème car les juges français ont appliqué la condition d’originalité avec générosité. Ils ont accueilli au sein du droit d’auteur des œuvres en tous genres, de la cafetière Bodum aux canapés, en passant par les œuvres graphiques et même un panier à salade et des porte-serviettes (si, si, c’est véridique !).

Cependant, depuis un peu plus de dix ans, les juges français apprécient plus sévèrement l’originalité en droit d’auteur. Ils exigent notamment que l’auteur « explicite » ses choix créatifs et démontre l’originalité de son œuvre. Ce faisant, les juges français ont réhaussé le seuil de créativité exigé par le droit d’auteur, aboutissant à exclure un certain nombre d’œuvres du champ de la protection du droit d’auteur.

Vous ne comprenez rien à tout ce charabia juridique ? Lisez notre petit lexique des termes du droit d'auteur !

Le droit d’auteur dans l’Union Européenne : un droit en construction

Que dit le droit européen à cet égard ?

Dans les textes, rien, sauf dans des directives disparates portant sur la protection des photographies, des bases de données et des logiciels.

Cela n’a pas empêché la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de juger au cours des dernières années que toutes les œuvres doivent être protégées au sein de l’UE de la même manière et selon des critères identiques. Or, le droit français doit s’interpréter à la lumière du droit européen. Il faut donc désormais regarder vers Luxembourg (c’est là que siège la CJUE) pour comprendre les règles fixées par les juges européens et déterminer quelles sont les œuvres protégeables par le droit d’auteur en France, mais aussi dans tous les autres pays de l’UE.

Alors, qu’est-ce que nous a dit la Cour de justice de l’Union européenne ? Eh bien, à cet égard, que le droit d’auteur protège les « œuvres » des auteurs et qu’il y a une œuvre au sens du droit d’auteur, à deux conditions :

  • il faut un objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité ;
  • cet objet doit encore être original.

Pour revendiquer des droits d’auteur au sein de l’UE (et donc en France), il faut donc remplir ces deux conditions :

Droit d’auteur européen : l’exigence de précision et d’objectivité

Il s’agit de la condition la plus simple à comprendre.

Si l’objet de la protection est trop flou ou subjectif, il serait trop dangereux d’instituer un monopole. Comme l’ont souligné les juges européens dans la fameuse affaire Levola :

« Les autorités chargées de veiller à la protection des droits exclusifs inhérents au droit d’auteur doivent pouvoir connaître avec clarté et précision les objets ainsi protégés. Il en va de même des particuliers, notamment des opérateurs économiques, qui doivent pouvoir identifier avec clarté et précision les objets protégés au profit de tiers, notamment de concurrents. D’autre part, la nécessité d’écarter tout élément de subjectivité, nuisible à la sécurité juridique, dans le processus d’identification de l’objet protégé implique que ce dernier puisse faire l’objet d’une expression précise et objective ».

Les juges du Luxembourg en ont déduit qu’une saveur (comme la saveur d’un fromage) ne peut pas être protégée par le droit d’auteur au sein de l’Union Européenne.

Après moults débats, la Cour de cassation avait tranché dans un sens similaire s’agissant des fragrances de parfum : ces dernières ne peuvent pas être protégées par le droit d’auteur car elles ne sont pas suffisamment identifiables et objectives.

Résumons : il faut une forme identifiable et objective. À défaut, il n’y a pas de protection possible par le droit d’auteur (ce qui ne veut pas dire au demeurant qu’il n’y a pas d’autres moyens de se protéger).

Droit d’auteur européen : le critère de l’originalité

Un objet précisément identifiable et objectif, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Il faut, et c’est la seconde condition, qu’il soit original.

Les juges européens nous disent à cet égard qu’il y a un objet original lorsqu’il est « une création intellectuelle propre à son auteur ».

Mais encore ?! Les juges du Luxembourg (qui interprètent et font le droit européen) ont précisé qu’un objet est original, si celui-ci reflète la personnalité de son auteur, en manifestant ses choix libres et créatifs.

Autrement dit, pour démontrer qu’un objet est original, et donc protégeable par le droit d’auteur, il faut démontrer l’existence de choix libres et créatifs.

On voit bien ce qu’est un choix libre. C’est un choix qui n’est pas dicté par une contrainte extérieure, comme une contrainte technique.

Mais qu’est-ce qu’un choix créatif ? Les juges européens ne le précisent pas, pas plus que les juges français d’ailleurs. Et la notion revêt encore une part de mystère.

Disons que la créativité implique nécessairement la nouveauté. Mais que la nouveauté n’est pas suffisante pour démontrer la créativité – un choix peut être nouveau sans être véritablement créatif. Bref, il faut de la nouveauté et ce petit plus qui donne de la créativité, de l’originalité à une œuvre. Et c’est ce petit plus, cette étincelle créative, qui rend l’œuvre protégeable par le droit d’auteur.

Vous ne trouvez pas cela très clair ? Vous avez raison. Par prudence ou sagesse, les juges n’ont pas souhaité définir ce que recouvre la notion de choix créatif. Ce flou est toutefois préjudiciable car il laisse une marge d’interprétation dans les procès, qui ouvre la porte à l’arbitraire et à l’aléa.

Il faut en tout cas se contenter pour l’instant des acquis de la jurisprudence et, lorsque c’est nécessaire, se battre pour convaincre les juges de l’originalité d’une œuvre, et plus précisément qu’elle résulte de choix libres et créatifs. Un exercice difficile.

Pour vous protéger, essayez de conserver vos travaux préparatoires, vos idées, vos essais. En cas de litige, ils pourraient être utiles pour expliquer aux juges votre cheminement intellectuel, votre approche et vos choix créatifs et donc démontrer l’originalité de vos créations.

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